Lettre à Zélie – Vendredi 12H00

par Clemence

Ce texte est la partie 4 de la micro-fiction « Lettre à Zélie ».

Retrouve :

la partie 1 -> Lettre à Zélie – Vendredi 9h40

la partie 2 -> Lettre à Zélie – Vendredi 10h00

la partie 3 -> Lettre à Zélie – Vendredi 10H25


Zélie quitte « Le Café Sucré », sa salade à la main. Encore sous le coup de l’échange avec Léa, la vendeuse, elle secoue la tête et se parle à elle-même.

Mais que lui arrive-t-il donc ?

Notre marquise droite comme I se caractérise par sa ponctualité, sa tenue apprêtée, un peu étrange pour une vie sous les tropiques, et sa discrétion. Les potins qu’elle lance ne concernent que les autres. Jamais un mot sur sa vie, des sous-entendus parfois, glissés l’air de rien. Pour observer les réactions.

Mais, aujourd’hui, c’est une autre femme que nous croisons dans les rues de Nouméa. Trois pina colada, un chignon qui laisse échapper quelques mèches, une diatribe engagée avec la vendeuse du snack et des mots pour elle-même. À voix haute et dans la rue ! Rien ne va plus.

Le contraste est saisissant, pour qui a l’habitude de la croiser sur son périple quotidien. Pour qui ne la connaît pas, elle ressemble à une petite vieille esseulée en manque de compagnie, perdue dans la vie.

Il faut dire qu’aujourd’hui n’est pas un jour comme un autre. Zélie a reçu une lettre. Un texte qui tourne en boucle dans son cerveau. « Ce petit mot pour te dire que je t’aime. Signé : tu sais qui ».

Elle en est sûre, ce n’est pas un de ces anciens amants. Elle les a passés en revue lors de son passage à l’Annexe. La plupart sont passés de l’autre côté. Quant à ceux qui restent, leur histoire manquait de cette intensité nécessaire, pour, des années après, lui envoyer ce type de message.

Peut-être un de ces enfants ? Sur les cinq, au moins un doit penser à elle. Fol espoir d’une mère distante et jamais très présente. Câlins et mots doux, elle les réservait aux hommes. Fessées et râleries pour les petits.

Cinq : quatre garçons et une fille. Cinq grossesses, et jusqu’à la dernière, pas de révélations particulières sur la maternité. Il n’est pas étonnant que chacun vive sa vie loin d’elle. Son deuxième, Alexandre, est parti parcourir le monde à vélo. Une idée bien saugrenue pour ce petit garçon qui se perdait dans ses lectures. Elle l’imagine tout tanné par la vie au grand air. À cette idée, elle pouffe. Joie, bien vite éteinte par l’idée qu’elle n’en saura rien. Pas d’appel, pas de photo.

Parfois, comme aujourd’hui, elle pense à eux. Elle aimerait bien qu’ils l’appellent pour prendre de ses nouvelles. S’adoucirait-elle sur ses vieux jours ?

Ses trois autres garçons sont restés en Nouvelle-Calédonie. Elle les croise quand ils passent Place des Cocotiers. Fait bien rare. Eviteraient-ils sciemment l’endroit ? Serait-ce un des trois ?

Non ! Aucune cohérence. Azaëlle a eu le même message. Cela doit donc être une connaissance commune. Mais qui pourraient-elles avoir en commun ? Elle chasse la pensée d’un revers de la main. Est-ce si important ? Ne préfère-t-elle pas penser qu’elle compte pour une personne ?

Une pointe de quelque chose la turlupine. Qu’est-ce donc ? De la nostalgie ? Un instinct maternel qu’elle pensait inexistant ? Il est sûr que cette lettre, quel qu’en soit l’expéditeur, a éveillé une émotion chez la marquise. Elle ne saurait poser de mot sur ce pincement au cœur, ces larmes qui lui montent aux yeux, cette envie soudaine d’être entourée de rire et de cris.

Poursuivre la lecture ...

Ce site utilise des cookies pour vous garantir la meilleure expérience. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies. Accepter En savoir plus