Un instant place des cocotiers

par Clemence

Je flotte, je vole ou plutôt j’essaye de m’envoler et je finis enroulé autour du mat qui me retient.

De mon poste privilégié, je regarde et observe. Un bus s’arrête sous moi. Vivement qu’il bouge. Asphyxié par son gaz, je me tortille au gré du vent pour échapper aux odeurs nauséabondes. Cela m’arrive un peu trop souvent. Ces engins de métal sont d’une telle puanteur.

Cachés sous le feuillage de l’arbre majestueux en face de moi, se reposent ces êtres que l’on appelle humains. Nous en discutons souvent tous les deux, l’arbre et moi. Il me dit que, des fois, ils lui font mal à graver sur son écorce leurs noms au couteau.

De ma hauteur, je ne peux que claquer et tenter d’attirer leur attention. En vain, je fais partie du décor. On m’ignore la plupart du temps. Qui pourrait penser qu’un drapeau enregistre tout ce qu’il se passe ?

Jeune, mais déjà décati. Je flotte fier et un peu abîmé sur le fronton du musée de la ville. Peu de visiteurs passent les grilles. Ils viennent y chercher la fraîcheur alors que je grille. Ils rougissent et brunissent sous le coup du soleil alors que je pâlis sous ses assauts. Aujourd’hui vif et chatoyant, demain fade et éteint. Je ne perds pas pour autant une miette de ce qu’il se passe quelques mètres plus bas.

Vieilli prématurément par les éléments, je vis intensément les histoires de la place des cocotiers. Un couple qui flirte. Deux vieilles qui échangent les derniers commérages. Un enfant qui joue. Des jeunes qui rient et plaisantent. 3 touristes discutent sous leur chapeau de paille qui n’a plus de forme.

Chaque jour de nouvelles histoires, toujours un peu semblables, viennent me distraire.

Soudain, une sirène me raidit les fibres. Dans le brouhaha lent et étouffé par la chaleur, ce son strident me sort de ma torpeur. Un instant, bref mais intense. Rien d’envoûtant. L’ambulance passée, je me laisse à nouveau porter par le vent.

Je suis sur le plus beau bâtiment de la place et un des plus anciens. Depuis début 1900, qu’il existe le patriarche. Nous faisons la paire depuis moins longtemps, mais je suis fier d’en être l’atout glamour. Au loin, les cloches de la cathédrale me rappellent que notre partenariat aura une fin. De tissu et de couleur, je ne sais pas aussi bien résister que mon compère au temps qui passe. Le soleil me tape sur le ciboulot et m’use bien vite.

Je me déplie sous la caresse du vent. Une vision à 360 degrés.

Des petites histoires me sont comptées nuit et jour. Sans importance aucune, elles ne sont que le reflet de courts instants de vie.

Crédit photo : Ronan Potier sur unsplash

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