Un naufrage pas comme les autres

par Clemence
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J’ouvre les yeux.

Difficilement.

La pluie drue ne pardonne pas. Le sable me colle à la peau. La main lourde, je me protège le visage et m’assois avec la lenteur d’un corps ankylosé.

Baladé par la mer, j’ai atterri sur ce bout de plage.

À part sept objets plus qu’insolites, rien d’autre que la nature. Les palmiers ploient et dansent follement avec les bourrasques de vent. Alors que je me redresse péniblement sur mes deux jambes, je ne distingue pas grand chose de plus. Le bruit des vagues qui s’échouent inexorablement à mes pieds accompagne ma pensée. Seul, je suis seul avec mes sept objets.

Dans un juron, les dents qui claquent, je les ramasse et part chercher un abri. Sans lune pour me guider, je me prends les pieds dans un branchage. Je manque de m’étaler de tout mon long, alors que le vent et la pluie me battent mes jambes.

J’ai de la chance.

Une grotte s’ouvre devant moi. Encore plus noire que la nuit. L’extincteur en main, tel une arme, je pénètre prudemment dans l’antre peuplée uniquement de chauve-souris. Sans lumière, je reste près de la sortie, l’extincteur calé sous le bras, prêt à réagir si nécessaire. Le rideau de pluie est opaque. Une porte humide. Le torchon que j’ai récupéré a pris l’eau. Inutile, je ne peux qu’attendre la fin de la tempête pour le sécher et l’utiliser.

Pour tuer le temps et agrémenter ma réflexion de pensées joyeuses, j’ouvre la bouteille de vin. Fort heureusement, ce n’est pas un bouchon de liège. Hé hé, c’est presque la fête. Dédaignant, la tasse en porcelaine de Chine, « d’ailleurs, comment a-t-elle fait pour survivre au naufrage ? » Pfiou, c’est une question trop philosophique pour l’épave que je suis. Oh là, déjà une gorgée et je me perds. Donc, je disais, dédaignant la tasse, je bois directement et avidement au goulot.
L’alcool me réchauffe. J’en oublierais presque la pluie et ma situation qui, pour le moment, semble désespérée. Ce n’est pas le paquet de M&Ms, snack certes bienvenu, qui suffira à combler le vide de mon estomac qui grogne.

C’est moi ou la pluie augmente d’intensité ?

La tête me tourne un peu. Je continue l’inventaire de mes maigres possessions : il me reste un hublot et une pile. Sérieusement ? Mais c’est quoi ce naufrage ? Bien sûr, si je me construis une cabane, le hublot sera charmant. Une fenêtre pleine de style pour une vue somptueuse. Que demander de plus ? Finalement, ma villa sur la plage, je vais l’avoir. Bon là, ça sera plutôt une paillote, mais il y a de l’idée.

Le rythme de mes pensées s’accompagne d’une descente significative du niveau de la bouteille. Je ne sens plus vraiment le froid. Mon esprit emprunte des chemins brumeux.

Alors ma villa, non ma paillote… Il va falloir que je me trouve à manger. Le sucre me donne soif. Allez une gorgée. Oh non ! Plus qu’un M&Ms. « Toi, tu vas finir dans mon gosier. » Prêt à le savourer, je le croque en deux et le mâche doucement.

Pas le temps de l’avaler. Je m’effondre contre mon extincteur. Un sourire béat de naufragé alcoolisé sur le visage.

Crédit photo : Sebastien Bill sur unsplash

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